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Antonios
Lebanon
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Posted - 08/01/2006 : 11:12:18 PM
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LA REVANCHE DE DARIUS IIIPar Antoine Courban Publié dans l’Orient-Le Jour du samedi 10 juin 2006
En 331 avant JC, Alexandre le Grand lance son armée contre celle de Darius III, roi des rois, roi des Perses, roi d’Iran et le défait à Gaugamèle en Mésopotamie du Nord. Ce faisant, il achève les efforts de refoulement des Perses que les cités grecques avaient entrepris et qui ont valu à notre mémoire collective de conserver les noms de prestigieux lieux de combat : Marathon, Thermopyles, Salamine, Platées. Après Gaugamèle, la limite d’influence du monde iranien sera stabilisée le long de l’Euphrate sur ce qu’on pourrait appeler le verrou mésopotamien ou oriental de la Méditerranée dont le verrou occidental n’est autre que le détroit de Gibraltar. Ce que nous appelons Machreq ou Levant, ou Bilad el Cham, est une construction historique que nous devons à Alexandre et à ses successeurs Séleucides qui firent d’Antioche leur capitale, avant que le relais ne soit pris par la Damas des Omeyyades. L’Hellénisme, cette étonnante synthèse de la culture grecque et des cultures orientales, notamment sémitiques, pourra s’épanouir durant des siècles sur les pourtours de la Méditerranée, la mare nostrum, d’autant plus aisément que Rome mettra fin à l’hégémonie carthaginoise en Méditerranée occidentale.
Aujourd’hui, le partenariat euro-méditerranéen résonne comme un écho lointain à l’hellénisme antique puisqu’il engage tous les héritiers de ce dernier : les peuples d’Europe occidentale et orientale ( marqués par le christianisme catholique, protestant et orthodoxe) ainsi que les peuples des rivages sud de la méditerranée, majoritairement marqués par l’Islam sunnite arabe et turc ainsi que par les vieilles chrétientés de l’Orient. Le monde iranien, à l’histoire et à la culture prestigieuses, demeure cependant en dehors des rivages de la Méditerranée sur lesquels il n’a plus exercé son hégémonie depuis 23 siècles, si on excepte le bref épisode d’incursion de Chosroês refoulé par l’empereur romain Héraclius au début du VII°siècle. Cependant, depuis l’invasion anglo-américaine de l’Irak en 2003, le verrou de l’Euphrate a sauté et la Méditerranée se trouve à portée de main des successeurs de Darius. Le monde iranien serait-il de nouveau tenté d’exercer son hégémonie sur une vaste aire géographique allant de la mer Caspienne et des massifs montagneux d’Afghanistan jusqu’à la mer d’Oman ; et de cette dernière jusqu’à la mer Méditerranée et les montagnes du Caucase. L’Iran pourrait bien être aujourd’hui la grande puissance régionale de l’Orient et son principal pivot géostratégique.
Mais l’Iran n’est plus le monde parthe ou sassanide d’hier dominé par la religion zoroastrienne. Depuis la dynastie des Séfévides et leurs luttes contre les Ottomans, l’Iran jadis sunnite, a voulu se démarquer en optant pour le chiisme duodécimain, son herméneutique, son dolorisme et son sens communautaire.
C’est une telle grille de lecture que les commentateurs de la presse semblent appliquer aux événements qui secouent le Liban et qui ont fait dire, récemment, à un observateur que la clé de Beyrouth est à Damas mais que la clé de Damas est à Téhéran. Les éditorialistes, férus de prospective géostratégique, se plaisent à construire deux axes d’alliances informels. Le premier est plutôt horizontal, il va d’Est en Ouest, du Golfe arabo-persique à la Méditerranée. Il inclut l’Iran, l’Irak contrôlé par le binôme chiito-kurde, la Syrie sous la domination de la minorité alaouite et le Liban où le Hezbollah serait la tête de pont de ce système d’alliances. Cet axe, selon les observateurs dits avertis, s’avèrerait pouvoir contrôler une large part de l’approvisionnement énergétique de l’Europe.
En face, d’après les mêmes commentateurs, on trouverait un axe vertical Nord-Sud qui part du détroit du Bosphore en Turquie et aboutit au détroit d’Ormuz dans le Golfe arabo-persique et ses fabuleux gisements énergétiques. Cet axe est peuplé d’une écrasante majorité sunnite : Turquie, Jordanie, Arabie Saoudite. Il contrôlerait lui aussi les mythiques approvisionnements énergétiques. A la croisée de ces deux axes on trouve Israël, invulnérable à cause de sa capacité nucléaire, et le Liban, un grand malade exsangue qui aurait besoin d’un long séjour dans un service de soins intensifs afin de le soulager de ses antagonismes communautaires qui servent de carburant aux uns et aux autres avec la complicité de certaines factions libanaises aveuglées par la volonté de puissance et la maladie identitaire.
A la lumière de ce qui précède, les spécialistes en prospective posent deux questions :
1 – Une Turquie militairement puissante, alliée d’Israël, pourrait-elle devenir le bouclier de l’Europe et la protectrice potentielle du pétrole du Golfe ?
2 – Le Liban, vu son état de délabrement interne auto-entretenu, est-il appelé à devenir le prochain théâtre de l’affrontement « confessionnel » de ces deux axes sur fond de rivalités pétrolières ? Sommes nous donc à la veille d’un nouveau cycle d’une guerre « des » autres et « pour » les autres comme le dit Ghassan Tueni ?
Tout l’avenir du Levant, du Bilad el Cham, semble se jouer sous nos yeux. Quelle que soit la réponse que l’avenir réserve, nous pouvons déjà affirmer : « Quelle belle revanche pour Darius III ». Fait à Beyrouth, lundi 05/06/2006
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Posted - 08/02/2006 : 10:59:31 PM
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Thank you Antonios for an interesting and educational article. Given the nature and quality of its content, we have taken the liberty of translating it to English and posting the translation below.
THE REVENGE OF DARIUS III By Antoine Courban Published in L’Orient Le Jour, Saturday June 10, 2006 [Translated by CDL]
In 331 BC, Alexander the Great launches his army against that of Darius III, king of kings, king of Persia, king of Iran, and defeats him in Gaugamela in North Mesopotamia. In so doing, he completes the efforts of suppressing the Persians, which many Greek cities had undertaken and were worthy to preserve the names of their prestigious places of combat in our collective memory: Marathon, Thermopiles, Salamis, and Plataea. After Gaugamela, the limit of the Iranian world influence will be stabilized along the Euphrates on what one could call the Mesopotamian or Eastern Mediterranean lock, whose Western lock was none other than the Straits of Gibraltar. What we call Mashreq or Levant, or Bilad el Cham, is a historical construction that we owe to Alexander and his Seleucid successors who made Antioch their capital, before the relay was taken by the Omayyads of Damascus. Hellenism, this astonishing synthesis of the Greek and Eastern cultures, in particular Semitic, will be able to spread out during centuries around the Mediterranean, the nostrum pond, easier than Rome could put an end to the Carthaginian hegemony in the Western Mediterranean.
Today, the Euro-Mediterranean partnership resounds as a remote echo of ancient Hellenism as it engages all the heirs of Hellenism: the people of Western and Eastern Europe (marked by catholic, protestant and orthodox Christianity) as well as the people of the southern shores of the Mediterranean, mainly marked by Arab and Turkish Sunnite Islam and by old Christendom of the Orient. The Iranian world, with its prestigious history and culture, remains however distant from the shores of the Mediterranean on which it has not exerted its hegemony for more than 23 centuries, if one excludes the short episode of incursion of Chosroes driven back by the Roman emperor Heraclius at the beginning of VII° century. However, since the Anglo-American invasion of Iraq in 2003, the lock of the Euphrates skipped and the Mediterranean is once again within reach of the successors of Darius. Would the Iranian world be tempted again to exert its hegemony on a vast geographical area stretching from the Caspian Sea and the mountains of Afghanistan to the sea of Oman; and from the latter to the Mediterranean and the mountains of the Caucasus? Today, Iran could well be the great regional power of the Orient and its principal geostrategic hinge.
But Iran is no longer the Parthian or Sassanid world of yesterday dominated by the Zoroastrian religion. Since the Safavid dynasty and their fights against the Ottomans, Iran formerly Sunnite, wanted to dissociate itself by choosing the Shiism duodecimo, its hermeneutics, its dolorism and its sense of community.
It is such a grid of texts that press commentators seem to apply to the events that shake Lebanon and which made an observer say, recently, that the key to Beirut is in Damascus but that the key to Damascus is in Teheran. Editorials, passionate about geostrategic futurology, enjoy building two informal alliance axes. The first is rather horizontal; it goes East-West, from the Arab-Persian Gulf to the Mediterranean. It includes Iran, Iraq controlled by the Shiite-Kurdish binomial, Syria under the domination of the Alawite minority and Lebanon where Hezbollah would be the forefront of this system of alliances. This axis, according to informed observers, would be able to control a large part of Europe’s energy needs. On the other side, according to the same commentators, one would find a vertical North-South axis which starts at the Strait of the Bosphorus in Turkey and ends at the Strait of Ormuz in the Arab-Persian Gulf with its fabulous energy geysers. This axis is populated by an overwhelming Sunnite majority: Turkey, Jordan, and Saudi Arabia. It would also control a tremendous energy supply. At the crossing of these two axes one finds Israel, an untouchable because of its nuclear capacity, and Lebanon, a largely bloodless patient who would need a long stay in intensive care service to relieve it of its religious antagonisms fueled with the complicity of certain Lebanese factions blinded by a will for power and an identity crisis.
In light of what preceded, the specialists in futurology ask two questions:
1 – Could Turkey, militarily powerful and ally of Israel, become the shield of Europe and the potential defender of the Gulf oil?
2 – Does Lebanon, considering its state of self-sustained internal decay, have to become the next theatre of “denominational” confrontation of these two axes of oil competitions? Are we then on the eve of a new cycle of a war “of the others” and “for the others” as Ghassan Tueni calls it?
The whole future of the Levant, of Bilad el Cham, seems to be played before our eyes.
Whatever answers the future holds, we can already assert: “What a beautiful revenge for Darius III”.
Written in Beirut, Monday June 5, 2006 |
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